Des Antilles aux Açores: 21 jours, 2365 miles.

9 mai 2023, 09h43, l’heure H. Nous larguons les amarres. Excitation, un soupçon d’inquiétude. C’est désormais vers le nord-est que notre regard se tourne…. pour plus ou moins 21 jours…

Le vent est au rendez-vous, avec même plus d’intensité que prévu… Oswaldo est dans son élément, nous un peu moins… il faut encore bien s’amariner ! Le souffle d’une baleine nous redonne du coeur au ventre, mais le repas du soir sera frugal 🤢, pourtant préparé avec soin la veille.

Les premiers quarts sont les plus durs. Le corps n’est pas encore accoutumé au nouveau tempo que nous lui imposons. Le sommeil se cherche pour les uns, tombe comme une masse pour les autres. Au bout de trois ou quatre jours, une adaptation se fait sentir et un rythme s’installe.

Les journées passent vite, le temps est orchestré par les éléments, le temps n’a pas de consistance. Le temps est solaire, le temps est stellaire, le temps est lunaire….

Premier coucher de soleil sur l’Atlantique

Autour de petits rituels notre vie s’organise: le déjeuner, la consultation et l’analyse des données météo, les points de notre route, l’apéro et le repas principal (à choix dans notre liste de menus), la douche (eau de mer et eau douce), l’entretien et petites réparations du bateau (Pierre-Benoît toujours une bombe de WD40 ou de silicone à la main), les siestes et moments de lecture, un souper léger et déjà le premier quart. Deux heures et demie chacun, une veille attentive pour la sécurité et l’avance fluide du bateau. Un moment d’exception où s’effilochent nos pensées entre les étoiles et les instruments de navigation.

Réparations et entretien
Moment de lecture
Repas chauds, raclettes, gruyère d’alpage d’Arthur et Julie

Le vent est orienté est sud-est, c’est une navigation au près qui s’impose. Moins confortable, face à la houle, plus exigeante, car il faut sans cesse adapter sa voilure: 1 ris, 2 ris, 3 ris, aucun ris (agrandir ou raccourcir la grand-voile), rouler le gênois, un peu, beaucoup, pas du tout…. Dans la cabine avant, c’est un vrai capharnaüm, les corps valsent sur le matelas au son d’une gungenmusik interminable dont les cymbales sont l’instrument phare.

Sous un grain!

Le vent est là, le vent n’est plus, le marin peste…. Le capitaine se lance dans une incantation à Eole: donne nous du vent, du vent perdu, du vent fichu, du vent pourri, du vent joli, du vent oublié, du vent boudé…. donne nous du vent!

Pendant ce temps, son équipage saute à l’eau ! Et c’est la rencontre sidérante avec le grand bleu. Un bleu lumineux qui filtre les rayons du soleil à l’infini. En observant l’immensité profonde au travers de mon masque, je ressens un vertige. Attirant. Exhalant. Inquiétant. Absorbant.

De retour à bord, c’est au moteur que progresse Oswaldo. Sur la mer plate, nous observons de petites bulles joliment coiffée d’une voile violacée: les premières galères portugaises (méduses), nos plus fidèles compagnes durant ce voyage.

J’en profite aussi pour pêcher, tâche rendue ardue par les sargasses qui se mêlent au leurre. Je m’entête et persiste. Avec raison! Une magnifique daurade de 5 kilos finit par mordre à l’hameçon (surnommé désormais « Pétole »).

Elle sera sublimée dans nos prochains repas: panée de farine et grillée à la poêle, en terre-mer au four, sur un lit de pommes de terre, ou de légumes (poivrons, tomates et piments végétariens).

Le vent est mort, vive le vent…. C’est reparti ! Mais…. il y a toujours un mais…. L’orientation est nord-est nous contrarie, de même que le courant subtropical qui contre notre navigation et qui nous vole un bon noeud. C’est frustrant. Lenteur. Patience. L’adaptation est le maître mot du marin. Cela n’empêche pas Pierre-Benoit de pêcher une autre daurade pour le plus grand bonheur de l’équipage!

Nos deux dorades

Lorsque plusieurs jours plus tard le vent tarit, l’heure est au diesel. Nous en avons fait quelques provisions, comme il est préconisé dans une transatlantique retour. Deux jours et demi durant Oswaldo avance dans le ronron du Yanmar bien rôdé.

Nos réserves de Diesel exceptionnellement transférées dans la cabine de Georgy!

Sur une mer d’huile, nous vaquons à quelques occupations plus aisées à réaliser sans roulis ni tangage. Atelier ménage, atelier eau douce, atelier cuisine, l’occasion de réaliser des petits sablés à la vanille à déguster durant les quarts, ou de façonner un pain. L’odeur de la croute chaude envahit le bateau…

L’occasion également d’assister à un festival de mammifères marins! Rapidement dans notre voyage, nous avons été régulièrement accompagnés par des dauphins, principalement des tachetés de l’Atlantique, puis des dauphins communs (les cousins de Flipper) qui nous font le show devant la proue ou à l’arrière du bateau.

Mais ce 23 mai fut incroyable! Dès le petit matin, les dauphins nous ouvrent la route. Nous aurons plusieurs visites, de jour, de nuit, durant plusieurs jours. Le même groupe, semble-t-il. Des globicéphales croisent également notre chemin, imperturbables dans leur tranquille nage rythmée, des baleines et des rorquals (dont un nous croise à moins de 100 m du bateau), sublimes, laissent entrevoir leur large queue au moment de plonger. Tribord, bâbord, on ne sait plus où regarder! Je me sens comme Alice au Pays des merveilles (sans le l****, animal malvenu sur les bateaux, comme chacun le sait 😅).

Le ciel nous offre un spectacle permanent. Comme entourés d’une corolle de nuages, l’horizon équidistant au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, nous avons l’impression d’être au centre du monde. Sans cesse des taches se font, se défont, se fondent, se séparent, blanches ou teintées à l’encre subtil du soleil, levant ou couchant. Autant d’occasions de peindre des marines en pagaille, comme le dit joliment Georgy.

Passé les 1100 miles, le trajet amorce sa seconde moitié. Les miles s’égrènent à l’envers et un jour estimé d’arrivée (ETA, Estimate Time of Arrival sur nos instruments électroniques) commence à se dessiner: 30 mai? 31 mai? C’est le vent qui aura le dernier mot…. Il est capricieux et joue à cache cache sur notre route. Sur nos cartes météo, sa force s’affaiblit au fur et à mesure de notre progression. Au Yanmar finalement de prendre le relais sur nos voiles qu’un souffle peine à gonfler…

Un apéro pour fêter la moitié du trajet!

29 mai, la date se précise: il ne reste plus qu’une nuit de navigation. 29 mai, décrété jour du dauphin! Dès le petit matin en effet, un grand groupe de dauphins communs vient nous saluer. Leur escorte sera régulière le jour durant. Ils arrivent de tout côté, partent chasser au loin, bondissant sur leurs proies, reviennent.

Ce petit manège tourne jusqu’au coucher du soleil. Dernier coucher de soleil sur l’Atlantique….

Dernier quart. Il reste 83 miles à parcourir jusqu’à Horta. Oswaldo traine dans son sillage des rayons de lune….

Je n’aurais jamais pensé ressentir une certaine nostalgie à terminer cette traversée. A quitter cette bulle, ce microcosme que nous avons constitué au milieu de l’océan. Sentiment paradoxal du plaisir de revoir la terre et d’une forme d’appréhension de retrouver l’agitation des Hommes… Cette transatlantique retour fut un réel cadeau (merci aux ondes positives de nos amis lecteurs 😉), un rêve éveillé.

30 mai, dernier jour de navigation. Si hier l’océan ressemblait à une patinoire, ce matin, la mer est hérissée de creux et de bosses. De l’est. Le vent se refuse à nous…. Oswaldo frappe dans les vagues, on a l’impression qu’il se disloque. L’envie d’arriver à terre se fait pressante au fil des heures. Rien à voir avec nos sentiments d’hier. La navigation est ardue, courant, vagues, vent… tout est contre nous. Pourtant à 12h18, une vision nous redonne confiance: TERRE! L’Archipel des Açores est devant nous.

Lever du pavillon des Açores!

Les îles de Faial et Pico laissent entrevoir leurs formes, mais les derniers miles sont les plus longs, on le sait bien. Nous les ferons au forceps. Les Açores se gagnent avec ténacité, endurance, patience. Les lueurs d’Horta se dessinent devant nos yeux fatigués, l’ambiance est magique.

23h10, enfin! Nous sommes ancrés devant le port d’Horta. 2365 miles, 21 jours….

Au légendaire café Peter’s Sport!

Publié par Mireille et Pierre-Benoît

Navigateurs

6 commentaires sur « Des Antilles aux Açores: 21 jours, 2365 miles. »

  1. Bravo les amis 🙌bien fait 👍et merci encore infiniment pour ce récit coloré et envoûtant 🥰💝je sais, je sais… le monde des Hommes est moins reposant … mais la, nous, on se réjouit de vous revoir😉😘😘

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  2. Hello Mireille et Pierre-Benoît, Merci pour les mots, les photos, les histoires, les descriptions, les émotions que j’ai suivis en cours de route. Bravo pour votre voyage, vos rêves vécus et votre générosité dans ce partage. Bon atterrissage et vivent vous. Amicalement
    Marie-Lise

    Aimé par 2 personnes

  3. SUPER ! On vient de vivre et de revivre votre traversée finale et c’est juste merveilleux surtout vu de son canapé. Votre route n’a pas été un long fleuve tranquille mais que d’étoiles dans vos yeux…encore BRAVO à vous et bon atterrissage en attendant comme d’hab’ la suite de l’aventure.
    Gros bisous de nous deux à vous et à bientôt !😘😘
    Gisèle & Jean-François🌈

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